Les guerres commerciales nuisent aux consommateurs, contrairement à la coopération, affirment les experts : entretien

Alors que les tensions économiques et la fragmentation réglementaire s’accentuent entre les États-Unis et l’Union européenne, trouver des voies de coopération constructives est devenu plus urgent que jamais.
Une Document de politique Le document du Consumer Choice Center aborde ce défi en proposant des solutions pragmatiques visant à renforcer les liens transatlantiques par l'innovation, une réglementation favorable aux consommateurs et des avantages économiques mutuels. Plutôt que d'alimenter une guerre commerciale réglementaire, le document préconise des politiques qui harmonisent les incitations, favorisent l'innovation numérique et améliorent le bien-être des consommateurs des deux côtés de l'Atlantique.
Pour discuter des idées qui sous-tendent le document et de la vision plus large de la coopération UE-États-Unis, nous avons discuté avec trois voix éminentes du Centre de choix du consommateur. Yaël Ossowski, directeur adjoint, apporte des années d’expérience en matière de politique transatlantique et de défense des consommateurs. Eglė Markevičiūtė, responsable de la politique numérique et de l'innovation et ancien vice-ministre au ministère lituanien de l'économie et de l'innovation, apporte une vision approfondie des secteurs public et de l'innovation. Zoltán Kész, responsable des affaires gouvernementales et ancien membre du Parlement hongrois, apporte une perspective précieuse à l’intersection de la société civile et de l’élaboration des politiques.
Ensemble, ils explorent comment une réglementation intelligente et coopérative peut aller au-delà du protectionnisme et vers une prospérité partagée.
La proposition préconise une approche axée sur le consommateur dans le cadre des échanges commerciaux entre les États-Unis et l'UE. Comment l'administration Trump peut-elle concilier la relocalisation industrielle nationale avec le maintien de prix bas et d'une offre diversifiée pour les consommateurs, notamment dans un contexte de guerre tarifaire brutale ?
Yaël Ossowski : Franchement, on ne sait pas vraiment dans quelle mesure une augmentation drastique du coût d’importation des matières premières et des biens étrangers aura des conséquences bien plus importantes que la hausse des prix pour les consommateurs. Si l’objectif est d’inciter les entreprises à réinvestir dans les usines américaines, il s’agit d’un calcul à long terme effectué par des investisseurs privés qui doit prendre en compte une multitude de facteurs, notamment les politiques gouvernementales, les impôts, les droits de douane, le marché du travail, et bien d’autres encore. Certains, au sein de l’administration, privilégient des droits de douane ciblés, qui entraînent néanmoins une hausse des coûts, mais cela serait bien préférable à une augmentation générale des impôts sur 330 millions d’Américains et les entreprises qui les servent.
Comment les États-Unis devraient-ils aborder les politiques de relocalisation sans glisser vers le protectionnisme ou un découplage total de la Chine, compte tenu des coûts pour les consommateurs et de l’innovation ?
Yaël Ossowski : Des réformes fiscales et une déréglementation efficaces contribueraient grandement à encourager les investisseurs américains et étrangers à implanter leurs activités aux États-Unis. La taxe invisible pesant sur les innovateurs, qui existe au sein du système réglementaire américain – notamment les règles et prescriptions bureaucratiques – devrait être raisonnablement réduite afin que les consommateurs puissent tirer davantage profit d’un environnement qui encourage l’innovation plutôt que de se contenter d’une conformité rudimentaire.
Comment l’Europe peut-elle approfondir les chaînes d’approvisionnement atlantiques sans compromettre la volonté de l’UE d’obtenir une « autonomie stratégique » dans les secteurs clés ?
Eglė Markevičiūtė : J’aimerais me concentrer sur les questions liées aux technologies. L’Europe souligne depuis longtemps l’importance de l’autonomie stratégique dans le domaine numérique. Récemment, une vision plus nuancée a émergé avec l’élaboration de la proposition Eurostack, un plan visant à renforcer l’autonomie de l’Europe dans les secteurs technologiques critiques. Point crucial, les architectes d’Eurostack soulignent que « l’autosuffisance complète n’est ni réalisable ni souhaitable ». L’initiative prône plutôt le renforcement des capacités stratégiques tout en favorisant des partenariats internationaux bénéfiques.
Cela nous rappelle que l'autonomie stratégique ne doit pas nécessairement se faire au détriment de la coopération transatlantique. Elle doit être calculée et mesurée, guidée par des objectifs clairs comme l'élargissement du choix des consommateurs et la génération de bénéfices économiques plus importants, et non par des considérations idéologiques. Il est essentiel d'évaluer les avantages à court et à long terme d'une collaboration numérique plus étroite avec les États-Unis, notamment en matière de sécurisation des chaînes d'approvisionnement, d'innovation partagée et d'harmonisation réglementaire.
Enfin, même si l’alignement réglementaire peut sembler impossible à ce stade précis, l’UE et les États-Unis bénéficieraient tous deux d’un alignement réglementaire et normatif.
En ce qui concerne un meilleur alignement entre les États-Unis et l’UE sur les règles numériques, existe-t-il une marge de convergence réglementaire ou les différences philosophiques sont-elles trop importantes ?
Eglė Markevičiūtė : Pas nécessairement. Prenons l’IA, par exemple. Alors que le décret initial du président Biden sur l’IA a été révoqué en janvier, les États-Unis préparent actuellement un plan d’action pour l’IA et un nouveau décret. Les questions relatives à la vie privée, à l’énergie et aux algorithmes devront être abordées. Dans ce contexte, l’expérience de l’UE – tant positive que négative – avec la loi sur l’IA pourrait offrir de précieux enseignements aux décideurs politiques américains.
La convergence réglementaire ne signifie pas qu'une partie doive adopter pleinement l'approche de l'autre. Mais un dialogue ouvert est essentiel. Malgré les critiques à l'encontre du Conseil du commerce et des technologies UE-États-Unis (CTC), je pense qu'il devrait être revitalisé, en y intégrant des questions nouvelles et anciennes. Le potentiel d'harmonisation, notamment dans des domaines en constante évolution comme l'IA, la cybersécurité et le commerce numérique, est trop important pour être ignoré.
Compte tenu des inquiétudes exprimées dans le document concernant la réglementation numérique de l’UE et des récentes nouvelles en provenance de Bruxelles, quel rôle les entreprises technologiques américaines devraient-elles jouer dans la promotion de l’interopérabilité réglementaire avec l’UE ?
Yaël Ossowski : Les entreprises technologiques américaines sont particulièrement bien placées pour combler le fossé réglementaire entre Washington et Bruxelles. Présentes des deux côtés de l’Atlantique, elles comprennent parfaitement les défis pratiques et les implications des divergences entre les réglementations numériques. À ce titre, elles devraient jouer un rôle actif dans la promotion de l’interopérabilité réglementaire, en partageant leurs expériences, en proposant des solutions viables et en encourageant un dialogue constructif entre les régulateurs. Dans la mesure du possible, les démocraties libérales devraient établir des accords commerciaux simplifiés, voire des corridors de données, afin d’éliminer les frictions liées au stockage et à la diffusion transfrontaliers des données.
Si les échanges commerciaux entre les États-Unis et l’UE s’intensifient dans le cadre de cette proposition, quelles opportunités ou quels risques existeront pour les économies d’Europe centrale et orientale comme la Hongrie ?
Zoltán Kész : Avant les élections américaines, Viktor Orban a misé à fond sur la victoire de Trump et a massivement investi dans sa réélection. Cela a-t-il porté ses fruits ? Si l'on examine si le pays bénéficie des guerres commerciales de Trump, j'en doute. Ses droits de douane élevés réduisent les exportations vers les États-Unis, freinent les investissements américains en Hongrie et accroissent l'incertitude. De plus, l'économie hongroise étant fortement dépendante de l'industrie automobile allemande, de nombreuses usines locales seront durement touchées. Et, bien sûr, les prix augmenteront, notamment pour les voitures et les importations technologiques.
La proposition du Centre de Choix du Consommateur offre de nombreux avantages à la Hongrie et à l'Europe centrale et orientale. Nous pourrions bénéficier d'un meilleur accès aux marchés américains (automobiles, médicaments, technologies de l'information), les importations seraient moins chères (par exemple, les technologies et les produits agricoles américains), les entreprises hongroises pourraient participer aux chaînes d'approvisionnement mondiales et, bien sûr, bénéficier d'un choix plus large, de prix plus bas et de meilleurs services. Il existe un autre point que le gouvernement actuel pourrait ne pas privilégier pour des raisons politiques : ne pas dépendre de la Chine, car Orban souhaite approfondir les relations sino-hongroises.
Comment la Hongrie peut-elle bénéficier d’un partenariat entre les États-Unis et l’UE visant à réduire sa dépendance à l’énergie russe, sans augmenter ses coûts intérieurs ?
Zoltán Kész : Nous savons pertinemment que, pour Orban, la dépendance au gaz russe est une décision politique et non économique. Des spéculations circulent quant à l'intérêt financier du Premier ministre hongrois et de son entourage à maintenir la dépendance du pays au gaz russe. Objectivement, le pays tirerait sans aucun doute profit de cette proposition. Une diversification dans ce secteur se traduirait par des prix plus bas et une moindre dépendance à la Russie. La Hongrie ne serait pas uniquement dépendante du gaz russe si l'UE et les États-Unis coopéraient dans les domaines du GNL, des énergies renouvelables et du nucléaire.
La Hongrie ne peut bénéficier des relations transatlantiques dans le secteur énergétique que si la coopération UE-États-Unis repose sur le libre marché, l’innovation technologique et une véritable concurrence, et non sur le protectionnisme politique.
Comment les États-Unis peuvent-ils mieux collaborer avec leurs alliés, en particulier au sein de l’UE, pour réduire leur dépendance à la Chine pour les éléments de terres rares, tout en maintenant des prix compétitifs ?
Yaël Ossowski : Notre article souligne que les domaines de l’énergie, de l’exploitation minière et de la défense sont non seulement les plus urgents, mais aussi les plus lucratifs pour les entreprises et les consommateurs des deux côtés de l’océan. En réalité, les démocraties libérales d’Amérique du Nord et d’Europe ont bien plus en commun que leurs adversaires géopolitiques chinois ou russes. Le développement des infrastructures de GNL pour la livraison et la réception d’énergie, ainsi que l’ouverture des accords miniers et une collaboration étroite en matière de défense avec les partenaires industriels, contribueraient à créer le bloc commercial le plus libre et le plus prospère au monde. Si nos gouvernements s’engagent dans cette voie, tous les citoyens et consommateurs pourront en bénéficier et servir de modèle au monde.
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